vendredi 18 janvier 2019

La psychologie du bonheur 1 - LE BONHEUR, C'EST SI JE VEUX OU SI JE PEUX ?

Trouvez-vous votre bonheur dans l’action ou dans le repos ? Croyez-vous que l’argent fasse le bonheur ou au contraire pensez-vous qu’il faut se détacher des possessions matérielles ? Savez-vous qu’il y a deux façons de concevoir le bonheur : façon top-down ou bottom-up ? Savez-vous quel type de couple est plus susceptible d’être heureux ? Croyez-vous que le sentiment de bonheur soit identique pendant l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte et la vieillesse ? Connaissez-vous Fritz Zorn et le calvaire qu’il a vécu à grandir dans une famille « heureuse » ? Voici quelques questions auxquelles cette série d’articles sur la psychologie du bonheur tentent de répondre…



Dans un film de science-fiction de Kurt Wimmer sorti en 2002, Equilibrium, les habitants de la terre devaient s'injecter plusieurs fois par jour une dose de « Prozium ». Ce médicament avait pour but d'empêcher les hommes de ressentir toute émotion, car celles-ci avaient été jugées responsables du malheur des nations.



Tout porte à croire que Wimmer avait lu Aldous Huxley. Dans son célèbre roman Le meilleur des mondes, Huxley décrit un univers où, grâce au « soma », les humains ressentaient continuellement un sentiment de joie qui masquait toute souffrance.



Ces exemples tirés de la littérature et du cinéma présentent une certaine vision du bonheur. Dans chacun des cas, les sentiments, les émotions, ainsi que les pensées et les images qui y sont associés, sont jugés responsables du malheur des hommes. Maîtriser le ressenti permettrait donc d'accéder au bonheur ou, dans le pire des cas, assurerait l'absence de malheur.



« Je vois la vie en rose »

Si l'on quitte la fiction, on s'aperçoit que cette conception du bonheur et du malheur n'est pas très éloignée de ce que pensent certains professionnels du bien-être. Selon eux, arriver au bonheur est possible grâce à la maîtrise des émotions et d'autres facteurs internes. En psychologie, on appelle cette théorie le modèle top-down. Top-down pourrait être traduit par « de haut en bas » ou « du sommet à la base ». Selon ce modèle, le bonheur n'est possible que si nous sommes dans de bonnes dispositions mentales. Ce serait donc notre façon de voir les choses qui induirait nos sentiments de bonheur ou de malheur. D'une manière générale, les adeptes de la pensée positive et du développement personnel ont adopté cette vision des choses. C'est aussi un peu l'avis du philosophe Montaigne, en tout cas vers la fin de sa vie, qui avait adopté l'attitude suivante : « Ne pouvant régler les événements, je me règle moi-même ». Montaigne disait s'arrêter sur chaque moment de bonheur qu'il était en train de vivre et en prendre pleinement conscience afin d'en profiter le plus possible.



Si l'on se penche sur différentes recherches scientifiques dans le domaine, on peut recenser un certain nombre d'aptitudes favorisant le sentiment de bonheur : une image positive de soi, un sentiment de contrôle sur l'existence ou des relations affectives épanouissantes avec son entourage. C'est ce qui faisait dire à Edith Piaf : « Quand il me prend dans ses bras… je vois la vie en rose ».



« Si l''argent ne fait pas le bonheur, rendez-le ! »

Mais dans la quête du bonheur, il existe une autre théorie, un autre modèle, qui s'oppose au premier : le modèle bottom-up. Cette fois, bottom-up signifie « de bas en haut », « de la base au sommet ». Le bonheur serait plutôt dépendant des événements extérieurs et de la jouissance liée à certaines possessions : argent, biens matériels, santé… Sans cela, pas de chance de bonheur possible.


Plus précisément, ces possessions seraient une condition nécessaire, mais pas suffisante pour accéder au bonheur. En d'autres termes, le bonheur ne naîtrait pas de la possession de ces biens, mais ceux-ci augmenteraient les chances d'être heureux. Ces possessions assureraient un bien-être matériel et psychologique.



Or il ne faudrait pas confondre bien-être et bonheur. On peut être riche, beau, en pleine santé et malheureux ! La publicité entretient la confusion entre bien-être et bonheur. Elle nous montre des gens heureux parce qu'ils consomment : telle crème apporte le bonheur, telle voiture rend heureux, tel shampoing donne du plaisir… Le bonheur est en vente ! Mais, si l'on y réfléchit bien, on est dupé par les arguments des publicitaires. Tel produit de beauté ne rend pas heureux, mais juste moins ridé et c'est déjà beaucoup ! De même, telle voiture apporte confort et sécurité, rien de plus ! Bien sûr, être moins ridé et rouler dans une belle voiture peut vous rendre plus confiant et augmenter votre estime de soi, mais de là à parler de bonheur ! Il y a un pas que les publicistes ont franchi. A nous de voir si l'on accepte ou pas de le franchir avec eux.



Pour simplifier, on peut retenir que, selon les adeptes du modèle top-down, le slogan est « le bonheur si je veux ! », alors que pour les partisans du modèle bottom-up, la devise serait plutôt « le bonheur, si je peux ! » Mais existe-t-il un modèle prévalant sur l'autre ? Les défenseurs du « politiquement correct » diront qu'il faut essayer de privilégier le modèle top-down et apprendre aux gens à se libérer de leur dépendance aux objets et aux possessions. Qu'il faut apprendre à se contenter de ce que l'on a. Qu'il est nécessaire de développer une vision positive sur le monde. Et ils n'auraient peut-être pas tout à fait tort. Mais cette vision des choses comporte un risque énorme : celui de cautionner un univers social inégalitaire ! Il est peut-être plus facile d'adopter le modèle top-down quand on est éloigné de la misère, de la faim et de la précarité. C'est ce qui faisait dire à Jules Renard, avec beaucoup d'humour : « Si l'argent ne fait pas le bonheur, rendez-le ! » Dire aux gens qu'ils doivent apprendre à se contenter de ce qu'ils ont et de ce qu'ils sont, c'est aussi courir le risque d'abandonner tout lutte sociale. Sans quelques défenseurs du modèle bottom-up, se soucierait-on de la qualité de vie de certaines tranches de la population ?



Alors, en fin de compte, top-down ou bottom-up ? Laissons le poète latin Horace poursuivre la réflexion : « Il est en tout un juste milieu »...

Benoît Demonty

La psychologie du bonheur 2 - « TOUT BONHEUR COMMENCE PAR UN PETIT DEJEUNER TRANQUILLE »

Trouvez-vous votre bonheur dans l’action ou dans le repos ? Croyez-vous que l’argent fasse le bonheur ou au contraire pensez-vous qu’il faut se détacher des possessions matérielles ? Savez-vous qu’il y a deux façons de concevoir le bonheur : façon top-down ou bottom-up ? Savez-vous quel type de couple est plus susceptible d’être heureux ? Croyez-vous que le sentiment de bonheur soit identique pendant l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte et la vieillesse ? Connaissez-vous Fritz Zorn et le calvaire qu’il a vécu à grandir dans une famille « heureuse » ? Voici quelques questions auxquelles cette série d’articles sur la psychologie du bonheur tentent de répondre…


« Tout bonheur commence par un petit déjeuner tranquille ». C'est ce qu'a écrit un jour le romancier anglais Somerset Maugham. On imagine facilement la scène : un petit déjeuner tranquille dans le jardin, à l'ombre d'un vieil arbre. C'est aussi prendre le temps le matin, alors qu'on est si pressé le reste de l'année. Puis la journée s'écoule lentement, dans un transat ou un hamac.

Il n'est pas certain que le psychologue et philosophe américain William James se réjouisse de cette perspective, car pour lui : « l'action n'apporte pas toujours le bonheur, mais il n'y a pas de bonheur sans action ». Si l'idée d'une journée de farniente peut en réjouir certains, d'autres crient déjà à l'ennui et à la morosité ! Pour eux, comme pour le héros de L'homme pressé, de Paul Morand, la vie doit être vécue à cent à l'heure…

D'autres encore peuvent trouver ces formes de bonheur un peu trop égoïstes, trop centrées sur soi-même. Ils rejoindront alors l'avis de l'essayiste français Jacques Attali : « Si l'on trouve du plaisir au bonheur d'autrui, c'est avant tout parce que l'autre est nécessaire à son propre bonheur ».

Maugham, James, Attali… On pourrait facilement trouver d'autres citations que celles-là, présentant encore d'autres conceptions du bonheur. Mais qui a raison ?

Un petit jeu absurde
Si l'on en croit le philosophe Pascal : « Tous les hommes cherchent le bonheur ». Mais que cherchent-ils exactement ? Proposez le jeu suivant à des amis : « Dans quelques secondes, quand je vous aurai donné le signal de départ, vous partirez à la recherche d'un objet précis, mais dont vous ignorez tout. Cet objet peut se trouver n'importe où sur terre. Il se peut que vous le cherchiez toute votre vie, car quand vous l'aurez trouvé, personne ne vous dira que vous avez gagné le jeu ! » Si l'un de vos amis vous demande : « Qu'est-ce qu'on y gagne ? », vous répondrez : « Quelque chose comme un sentiment de satisfaction ou de joie ». Je doute que beaucoup de vos amis acceptent de jouer avec vous. Pourtant vous pourrez leur faire remarquer qu'il est très probable qu'ils jouent déjà à ce jeu depuis de nombreuses années, mais sans s'en rendre compte !
On pourrait appeler ce jeu « le jeu de la course au bonheur ». Certains l'appellent plus simplement le jeu du « cherche »[1].

Des tas de personnes passent en effet leur vie à courir derrière le bonheur sans savoir quel type de bonheur ils recherchent ou quel type de bonheur est fait pour eux.
On entend souvent dire qu'il y a autant de bonheurs que d'individus. C'est peut-être vrai, mais ça n'empêche pas d'essayer de regrouper ces différentes formes de bonheur en quelques catégories.

Mon bonheur parmi les bonheurs Etablir une typologie du bonheur, c'est ce que Averill et More ont essayé de faire[2]. En plaçant les différentes formes de bonheur sur deux axes, ils ont obtenu quatre types de bonheur. Le premier axe correspond au degré d'activation de l'organisme dans les moments de bonheur : ce dernier se trouve-t-il dans le calme ou dans l'activité ? Le deuxième axe est celui de l'origine du sentiment de bonheur : vient-il avant tout de soi ou des circonstances extérieures ? Voilà ce que l'on obtient en croisant ces deux axes :





Origine


Soi
Circonstances extérieures



Degré d'activation

Calme

Sérénité


Contentement

Activité

Engagement

Joie

Le bonheur calme et dépendant de soi, c'est la sérénité. C'est un peu l'attitude que les philosophes stoïciens de l'antiquité préconisaient face à l'existence. Selon eux, il est presque impossible de modifier le cours des événements qui nous arrivent. Par contre, on peut modifier notre façon de les vivre et tenter de garder en toutes circonstances une humeur égale, une tranquillité d'âme. Le bonheur ne dépend alors plus des circonstances extérieures, c'est une forme de paix intérieure. Comme disait Epictète : « Il ne dépend pas de toi d'être riche, mais il dépend de toi d'être heureux ».

Le bonheur calme lié aux circonstances extérieures, c'est le contentement. C'est-à-dire le sentiment de satisfaction que l'on peut éprouver à l'idée que les choses vont bien dans sa vie : travail satisfaisant, enfants en bonne santé, couple épanouissant… C'est un sentiment de satisfaction, de désirs comblés qui s'inscrit dans le temps. Et qui, pour Lao Tseu, est une grande richesse : « Savoir se contenter de ce que l'on a : c'est être riche ».

Le bonheur actif dépendant de soi, c'est l'engagement. Il s'agit d'une activité orientée vers un but : terminer un travail, achever de décaper un meuble, finir la construction d'un modèle réduit… Le bonheur ici vient parfois plus du résultat attendu de l'activité que de l'activité elle-même. Voltaire partageait cette vision du bonheur : « L'homme est né pour l'action comme le feu tend en haut et la pierre en bas ».

Finalement, le bonheur actif dépendant des circonstances extérieures, c'est la joie. La joie est un moment intense d'exaltation qui dure peu de temps : la joie après un but au football, lorsque l'on reçoit un cadeau ou que l'on revoit une personne que l'on avait perdue de vue. Le contentement peut succéder à l'émotion liée à la joie, car si le contentement est durable, la joie, elle, est plutôt brève et imprévisible. C'était d'ailleurs ça, pour Sophocle, la caractéristique des plus belles joies : « Il n'y a pas de plus grande joie que celle qu'on n'attend pas ».

Evidemment, cette typologie, comme toutes les autres, présente certains défauts. Rien n'est ni tout à fait calme ni tout à fait actif et rien n'échappe totalement aux circonstances extérieures. Mais elle a le mérite de nous aider à faire le point sur le type ou les types de bonheur que nous privilégions et offre un début de réponse au jeu de « la course au bonheur » ! Rechercher le bonheur, c'est donc avant tout le définir et personne n'est mieux placé que vous pour le faire. Avant tout chose, vous devez créer votre propre dictionnaire et y inscrire votre propre définition. Mais cela ne veut pas dire que c'est facile ni que cela se fasse sans piège…

                                                                                                                                 Benoît Demonty


[1] Labbé B. & Puech M. (2000). Les goûters philosophiques. Toulouse : Les Éditions du Milan.
[2] Averill, J. R., & More, T. A. (2000). Happiness. In M. Lewis & J. M. Haviland (Eds.), Handbook of emotions (2nd ed.) (pp. 666-676). New York : Guilford Publications.