mardi 14 mai 2019

Psychologie du bonheur 4 - « L'argent ne fait pas le bonheur de ceux qui n'en ont pas »


« L’argent ne fait pas le bonheur de ceux qui n’en n’ont pas ». C'est en tout cas ce qu'écrivait Boris Vian, qui pensait parfois, avec raison : « Je me demande si je ne suis pas en train de jouer avec les mots » !
 On associe souvent l'argent à la vie heureuse. Beaucoup de parents n'hésitent pas à couvrir leur enfant de cadeaux ou à leur donner de l'argent de poche pour qu'ils le fassent eux-mêmes. Certains compensent, de cette façon, leur propre enfance, pendant laquelle ils estiment avoir manqué de certaines possessions et veulent ainsi éviter à leur enfant de vivre ce même manque. Parfois, l'argent que l'on dépense pour un enfant est à la mesure de l'affection qu'on lui porte : on veut lui montrer qu'on l'aime énormément, alors on dépense énormément pour lui. Donc, l'argent fait vraiment le bonheur ? Les études scientifiques nous apprennent des choses parfois surprenantes…
  

Gagner à la loterie
 Dans les années 70, des études intéressantes ont été menées sur les gagnants à la loterie. La plupart des gagnants estimaient que leur niveau de bien-être était identique à celui qu'ils avaient avant de gagner ! Ils ne se considéraient ni mieux ni moins bien lotis qu'avant. Au contraire, ils faisaient mention de difficultés nouvelles, apparues à cause de leur fortune subite : regrets dus à une mauvaise gestion de la fortune, conflits avec la famille ou les amis concernant l'utilisation de l'argent, difficultés à s'adapter à un nouveau statut social… En somme, pour eux, comme pour Flaubert,  « Argent : cause de tout le mal ».
 On éprouve quelques difficultés à penser que notre vie ne serait pas meilleure si on gagnait à la loterie ! Pourtant, ces gens ont témoigné ! Impensable ? L'argent ne fait donc pas le bonheur ? Difficile à admettre quand on touche 700 euros par mois et que l'on manque de tout ! Plus facile à croire quand on ne manque de rien et que l'argent se compte par millions !
 Mais les médias nous montrent des gens riches, célèbres et malheureux contre lesquels on n'aurait pas envie d'échanger sa vie. En fait, il semblerait que l'argent contribue au bonheur jusqu'à un certain point, jusqu'à une certaine somme pourrait-on dire. Une somme qui assure une pleine satisfaction des besoins. Au-delà de cette somme, il n'y aurait pas de surplus de bonheur à posséder davantage. 
Le paradoxe d'Easterlin
 Richard Easterlin est un économiste américain qui a laissé son nom à un phénomène qui peut paraître surprenant : le niveau de satisfaction de vie n'augmente pas avec le pouvoir d'achat ! Pour affirmer cela, il s'est penché sur le cas du Japon. Entre 1958 et 1987, le revenu par habitant y a été multiplié par cinq. Une très grande majorité des ménages a pu s'équiper en téléviseur, réfrigérateurs ou machines à laver et s'acheter une automobile. Pourtant, le sentiment de bien-être subjectif, lui, n'aurait pas changé durant cette période : les Japonais ne se sentent ni mieux ni moins bien malgré l'importante amélioration de leur qualité de vie !
 Est-ce propre à la société japonaise ? Pas vraiment, car la même observation a pu être faite en Chine où le revenu moyen par habitant a augmenté de 250% en quelque 10 ans. D'autres études, portant sur des pays occidentaux, vont dans le même sens.
 Qu'est-ce qui pourrait expliquer ces observations ? L'explication la plus simple serait ce qu'on appelle un « phénomène d'adaptation ». On s'habituerait assez rapidement à une élévation du niveau de vie, si rapidement qu'on ne profiterait pas longtemps du bien-être qu'elle apporte.
 Prenons un exemple : vous en avez assez de prendre les transports en commun pour aller au travail (difficile à imaginer dans un pays où on trouve en moyenne plus d'une voiture pour deux habitants !) et vous parvenez enfin à vous acheter une voiture. Au début, bien sûr, vous êtes ravi, heureux même. Chaque matin, vous vous dites : « C'est quand même plus confortable et plus rapide qu'avant ! » Puis, petit à petit, vous vous habituez à votre nouvel achat et vous cessez de vous réjouir : vous vous êtes habitué à votre nouveau statut. La voiture a incontestablement amélioré votre qualité de vie (ce qui n'est pas le cas de la qualité de l'air, mais ça c'est une autre question), or vous vous êtes rapidement accommodé au changement.

Pour conclure, on pourrait dire que le rapport entre bonheur et argent n'est ni tout à fait positif ni totalement négatif ! D'un côté, l'argent améliore assurément notre qualité de vie. D'un autre côté, il peut nous apporter des soucis que nous n'avions pas avant, comme le montrent les gagnants à la loterie. A long terme, les premières joies passées, l'argent n'influencerait plus le sentiment subjectif de bonheur. Stendhal avait-il raison quand il écrivait : « Posséder n'est rien, c'est jouir qui fait tout » ?