mercredi 20 novembre 2019

CONDITIONS POUR QU'IL Y AIT ORIENTATION SOLUTIONS, par Benoît Demonty


Il peut paraître contradictoire, dans une époque où l'on défend une approche intégrative de la relation d’aide, de trouver un article sur les conditions minimales pour qu’il y ait intervention de type orientation solutions.
C’est qu’il ne faut pas considérer cet article dans une volonté d’exclusion : si les critères ne sont pas remplis, l’intervention n’est pas digne d’être qualifié d’orientée solutions. Non, ce n’est pas dans cet esprit que je rédige ces lignes.
Il s’agit plutôt de cerner les spécificités de l’approche solutions, les outils clés, les techniques phares afin de mieux définir cette approche. Il s’agit aussi de se doter d’un vocabulaire commun, de délimiter au mieux les réalités dont nous parlerons par la suite. Il s’agit enfin de fixer le plus précisément possible un premier cadre d’interventions, pour faciliter l’intégration d'autres cadres.
J’aborderai successivement quatre positions, celle de Steve de Shazer et Insoo Kim Berge, celle de Josée Lamarre, celle de l’EBTA et enfin celle du Centre jeunesse de la Mauricie et du centre-du-Québec.

De Shazer et Berg

Steve de Shazer et Insoo Kim Berg fixent 7 critères nécessaires à l’application de l’orientation-solutions : la question-miracle, l’échelle de progrès, l’expression de compliments, la prescription de tâches, l’exploration des forces et solutions et la recherche d’exceptions et la fixation d’objectifs.
Examinons brièvement ces points, une revue plus détaillée étant présentée au chapitre suivant.
Dans son livre Clés et solutions en thérapie brève, de Shazer explique à quel point la question-miracle est devenue « un moyen standard pour explorer les attentes des clients et pour fixer des objectifs »[1]. Dans le même chapitre, il donne une illustration de la question-miracle, dans le travail avec une cliente désirant rompre son accoutumance à la cocaïne : « Imaginez qu’une nuit, alors que vous dormez, il y a un miracle et ce problème est résolu, même si vous continuez à aimer la cocaïne. Quelle différence est-ce que cela ferait ? »[2].
La question-miracle est donc une projection dans le futur, dans un futur où le problème a disparu, dans le but essentiel de fixer un objectif et des critères de réussite à la relation d’aide.
L’échelle de progrès consiste à situer, sur un axe allant de 1 à 10, les progrès dans la poursuite de l’objectif thérapeutique.
Les compliments sont des feedbacks positifs adressés aux clients par l’intervenant, mettant en évidence ce qu’ils ont dit d’utile, d’efficace ou de drôle. Ils ont pour but de souligner les forces des clients et d’améliorer la co-construction de l’alliance.
Les prescriptions de tâches sont des invitations à observer ou agir de façon spécifique entre les séances. La tâche de première séance de Shazer est souvent la suivante : « Entre maintenant et la prochaine fois que nous nous verrons, nous aimerions que vous observiez, afin de pouvoir nous le décrire la prochaine fois, ce qui se produit dans votre famille que vous voudriez voir continuer à se produire »[3].
Explorer forces et solutions est une évidence en orientation solutions, l’intervenant se centre sur les ressources, s’appuie sur les compétences, recherche les exceptions.
La recherche d’exceptions, technique-type de l’approche, consiste à chercher les moments où le problème est moins intense, voire moins fort.
Enfin, l’intervention solutions est une approche concrète, qui vise l’atteinte d’objectifs positifs co-construits avec les clients. 

Josée Lamarre

Josée Lamarre a été co-directrice de Centre de psychothérapie stratégique, avec André Grégoire. Formatrice renommée, elle a contribué à la diffusion de l’orientation solutions au Canada et en Europe notamment.
Elle détermine cinq attitudes fondamentales.
La première est la focalisation de l’entretien thérapeutique sur les objectifs du client, ses ressources et compétences ainsi que ses exceptions.
La deuxième est l’utilisation de moyens privilégiés, parmi lesquels on retrouve la question-miracle, la recherche d’exceptions, l’utilisation d’échelles, l’utilisation du langage du client (ses formulations, ses métaphores…), l’empowerment et l’activation de solutions (plutôt que la suppression de problèmes).
La troisième attitude renvoie à la relation thérapeutique : bienveillante, respectueuse, elle sera aussi non-blâmante et centrée sur la coopération.
La quatrième attitude concerne les entrevues de suivi, qui devraient commencer par « Qu’est-ce que vous avez fait de bon pour… », s’appuyer sur les échelles de progrès et contenir des compliments.
Enfin, l’intervenant, en fin de séance, veillera à suggérer une tâche, à faire usage de compliment et à déterminer avec le client la pertinence de planifier une autre entrevue et à quel moment.
On trouve de très nombreuses similitudes avec les sept principes de de Shazer et Berg, notamment la question-miracle, l’échelle de progrès, l’expression de compliments, la prescription de tâches et la recherche d’exceptions.
Là où de Shazer et Berg insistent plus sur la fixation d’objectifs, Lamarre met l’accent sur la coopération avec les clients.
Examinons maintenant le point de vue de l'Association Européenne de Thérapie Brève.

L’EBTA

L’European Brief Therapy Association (EBTA) fixe six techniques minimales pour qu’une intervention entre dans le cadre de l’approche solutions. Trois concernent la première rencontre et trois les rencontres suivantes.
Lors de la première rencontre, l’intervenant doit faire usage de la question-miracle, doit employer l’échelle de progrès et adresser un compliment au client à la fin de l’entretien.
Les rencontres suivantes exploiteront les réponses du client à la question « Qu’est-ce qui s’est amélioré ? ». Elles s’appuieront ensuite sur l’échelle de progrès et les compliments.
Cette conception, limitée et répétitive, n’exclut pas les autres techniques fondamentales, comme la recherche d’exceptions. Elle fixe le minimum minimorum de l’intervention solutions.
Question-miracle, échelle de progrès et compliments : voilà le trio qui traverse les trois visions présentées.
Dans une recherche sur l’implantation de l’orientation solutions au Centre jeunesse de la Mauricie et du Centre-du-Québec, le Comité de travail, se basant entre autres sur les éléments précédents, a élaboré une liste de 16 techniques qualifiant une intervention orientée solutions.

Le Centre jeunesse de la Mauricie et du Centre-du-Québec

Dans son Etude sur l’implantation de l’intervention orientée solutions[4], le Centre jeunesse de Mauricie et du centre-du-Québec a déterminé une série de critères, d’indicateur orientés solutions :
-          L’identification d’un changement prétraitement lors du premier contact, appelé aussi changement de pré-session. Il s’agit d’identifier les changements positifs qui sont apparus dans la vie du client entre la prise de rendez-vous téléphonique et le premier entretien.  Ces changements, très fréquents, sont souvent dus au sentiment de soulagement lié au fait d’être pris en charge.
-          La visualisation du futur, par la question-miracle ou par toute autre variante (par exemple, la baguette magique ou les trois vœux chez les enfants).
-          L’échelle évaluative en début de processus, échelle à partir de laquelle le client évalue l’intensité de son problème.
-          L’échelle évaluative lors des entrevues subséquentes, les échelles de progrès.
-          L’utilisation de la question « Qu’est-ce qui s’est amélioré ? » lors des entrevues subséquentes à la première entrevue.
-          La recherche d’exceptions en cours d’intervention, recherche de moments où le client vit différemment son problème.
-          Les questions relationnelles, qui amènent le client à se décentrer et à adopter le point de vue de proches.
-          Les métaphores.
-          Le fait de faire quelque chose de différent en l’absence de solutions émergées, l’introduction du changement.
-          Le petit pas, le plus petit changement possible qui ferait déjà la différence.
-          La décristallisation, technique consistant à déconstruire la vision du problème.
-          Le recadrage, amenant un autre regard sur les difficultés, un regard ouvert sur les possibilités de changement.
-          L’externalisation, c’est-à-dire la scission entre le problème et la personne. Ce n’est pas la personne qui est le problème, mais c’est le problème qui est le problème.
-          L’utilisation de la rétroaction positive (souligner ce qui a bien fonctionné, mettre en lumière les forces, complimenter).
-          La proposition d’une tâche en fin d’entrevue.
-          L’utilisation de compliments en fin d’entrevue.
Cette conception est plus technique que les précédentes, mais on y retrouve les trois mêmes piliers : Question-miracle, échelle de progrès et compliments (empowerment).

Que retenir ?

Bien qu’une approche orientée solutions ne soit pas un protocole invariant, appliqué de la même façon par tous les intervenants à toutes les situations, on peut distinguer plusieurs axes spécifiques.
Le premier serait l’axe de la temporalité.
L’orientation solutions repose sur une conception spécifique de l’historicité d’une personne. En simplifiant, on pourrait dire que :
-          Le passé intéresse plus en termes de ressources, de solutions, de forces qu’en termes de causalité ;
-          Le présent se focalise sur les changements positifs plutôt que sur les symptômes ou les diagnostics ;
-          Le futur, à travers les techniques de visualisation de l’avenir, permet la fixation d’objectifs thérapeutiques positifs, s’exprimant à travers l’amélioration de la qualité de vie plutôt que sur la suppression de symptômes.

Le deuxième axe serait l’axe pratique.
Il renvoie aux techniques fondamentales de l’orientation solutions : la question-miracle, les échelles, les objectifs, les exceptions, les compliments.
Le troisième axe serait celui de la relation thérapeutique.
Basée sur la co-construction, la collaboration active du client et le présupposé positif sur sa capacité à surmonter ses difficultés.


Benoît Demonty

[1] Editions satas, 1999, p.134.
[2] Idem, p.131.
[3] Ibidem, p.2.
[4] Etude sur l’implantation de l’intervention orientée solutions. Rapport final de l’évaluation de l’implantation, Direction de la qualité des services, 2010.

mercredi 13 novembre 2019

UTILISER LE LANGAGE SOLUTIONS

Dans la très grande majorité des cas, les clients que nous rencontrons nous parlent de leur vécu avec un langage orienté problèmes : ils s'étiquètent (je suis trop dépressif pour...), s'invalident (je ne suis pas assez courageux pour...) ou déconsidèrent leurs forces (je n'y arriverai jamais), ainsi de suite.
Un des rôles du praticien orienté solutions sera d'amener le client à quitter son langage-problèmes pour utiliser un langage-solutions. Steve de Shazer affirme que le choix des mots est essentiel pour le maintien de la conversation dans la zone solutions.



Source : https://www.espritphyto.com/blog/

Mais quels sont les caractéristiques précises d'un langage-solutions ?  

Avant de donner des exemples de ce langage, rappelons ses trois finalités :
  • valider l’expérience du client ;
  • déconstruire les problèmes ;
  • construire les solutions.
Envisageons concrètement ces trois finalités.

1) Validation de l'expérience des clients
Valider l'expérience des clients, c'est la reconnaître, lui laisser une place, aussi difficile que soit cette expérience.
J'insiste énormément sur ce point : s'orienter solutions ne doit pas se faire au détriment de la souffrance, en la minimisant ou en l'invalidant. 
Pour rejoindre au mieux l'expérience du client, l'écoute active est évidemment essentielle.
D'autres voies sont complémentaires :
- la synchronisation corporelle ;
- la synchronisation verbale (adopter le langage du client) et non-verbale ;
- la normalisation, qui n'est évidemment pas de la banalisation ;
- l’intérêt porté au sens des émotions, à leur fonction, à leur message.

 Source : https://www.espritsciencemetaphysiques.com/

2) Déconstruction des problèmes
Plusieurs types de reformulations vont nous être utiles pour déconstruire, pour décristalliser les problèmes. Des exemples de phrases-clés sont donnés en dessous de chaque type de reformulations.

Reformulation par la temporalité
 

En ce moment vous vous sentez fatiguée, aujourd’hui, jusqu’à présent… 
Cela replace le problème dans le temps présent et donne le sentiment que s'il a eu un début, il peut avoir une fin. 

Reformulation par la perception

Vous avez le sentiment, l’impression…
Vous pensez, croyez que…
Vous en arrivez à la conclusion que…
Vous êtes amené à croire que…

Cette reformulation ouvre à d'autres perceptions, d'autres interprétations. 

Reformulation par la comparaison


« Personne ne m’aime »
devient  « On ne vous aime pas autant que vous le voudriez » ;
« Ça ne donne rien »
devient « Vous n’avez pas les résultats attendus » ;
« Je ne fais rien de bien »
devient « La réussite n’est pas à la hauteur de vos espoirs ».
Ce type de reformulation diminue la force des termes définitifs (toujours, jamais, rien, personne...) et peut donner accès aux besoins et aux valeurs des clients.


Reformulation des étiquettes en comportements

« Je suis dépressif »
devient « Vous avez souvent envie de pleurer, de dormir… » ;
« Il est hyperactif »
devient « Il a besoin de mouvements en rapport avec sa vitalité. »
Il s'agit ici d'assouplir des étiquettes enfermantes et de passer à des comportements. Si les personnalités se changent difficilement (étiquettes), les comportements peuvent plus facilement se modifier.


Reformulation par l’opportunité et l’utilité 


Une difficulté peut devenir une occasion d’apprendre, de changer, de mieux se comprendre... (sans déconsidérer pour autant la souffrance qui est derrière).

"Et si votre sentiments dépressifs étaient l'occasion de..."
 

Le recadrage, bien connu, qui consiste à donner d’autres significations aux évènements, est également un outil efficace pour déconstruire les problèmes.

 Source : http://psychotordu.over-blog.com

3) Construire les solutions

Construire les solutions fait appel aux techniques les plus connues de l'orientation solutions :
- Projeter dans l’avenir ;
- Chercher les exceptions ;
- Adresser des compliments ;
- Formuler des questions compétences et coping…

J'aurai l'occasion de développer ces techniques dans d'autres articles ou dans des fiches-mémo et des vidéos (voir page Documents et vidéos de ce blog).