Il peut paraître contradictoire, dans une époque où l'on défend une approche
intégrative de la relation d’aide, de trouver un article sur les conditions
minimales pour qu’il y ait intervention de type orientation solutions.
C’est qu’il ne faut pas considérer cet article dans une volonté
d’exclusion : si les critères ne sont pas remplis, l’intervention n’est
pas digne d’être qualifié d’orientée solutions. Non, ce n’est pas dans cet
esprit que je rédige ces lignes.
Il s’agit plutôt de cerner les spécificités de l’approche solutions, les
outils clés, les techniques phares afin de mieux définir cette approche. Il
s’agit aussi de se doter d’un vocabulaire commun, de délimiter au mieux les
réalités dont nous parlerons par la suite. Il s’agit enfin de fixer le plus
précisément possible un premier cadre d’interventions, pour faciliter
l’intégration d'autres cadres.
J’aborderai successivement quatre positions, celle de Steve de Shazer et
Insoo Kim Berge, celle de Josée Lamarre, celle de l’EBTA et enfin celle du
Centre jeunesse de la Mauricie et du centre-du-Québec.
De Shazer et Berg
Steve de Shazer et Insoo Kim Berg fixent 7 critères nécessaires à
l’application de l’orientation-solutions : la question-miracle, l’échelle
de progrès, l’expression de compliments, la prescription de tâches,
l’exploration des forces et solutions et la recherche d’exceptions et la
fixation d’objectifs.
Examinons brièvement ces points, une revue plus détaillée étant présentée
au chapitre suivant.
Dans son livre Clés et solutions en
thérapie brève, de Shazer explique à quel point la question-miracle est
devenue « un moyen standard pour explorer les attentes des clients et pour
fixer des objectifs »[1].
Dans le même chapitre, il donne une illustration de la question-miracle, dans
le travail avec une cliente désirant rompre son accoutumance à la cocaïne :
« Imaginez qu’une nuit, alors que vous dormez, il y a un miracle et ce
problème est résolu, même si vous continuez à aimer la cocaïne. Quelle
différence est-ce que cela ferait ? »[2].
La question-miracle est donc une projection dans le futur, dans un futur où
le problème a disparu, dans le but essentiel de fixer un objectif et des
critères de réussite à la relation d’aide.
L’échelle de progrès consiste à situer, sur un axe allant de 1 à 10, les
progrès dans la poursuite de l’objectif thérapeutique.
Les compliments sont des feedbacks positifs adressés aux clients par
l’intervenant, mettant en évidence ce qu’ils ont dit d’utile, d’efficace ou de
drôle. Ils ont pour but de souligner les forces des clients et d’améliorer la
co-construction de l’alliance.
Les prescriptions de tâches sont des invitations à observer ou agir de
façon spécifique entre les séances. La tâche de première séance de Shazer est
souvent la suivante : « Entre maintenant et la prochaine fois que
nous nous verrons, nous aimerions que vous observiez, afin de pouvoir nous le
décrire la prochaine fois, ce qui se produit dans votre famille que vous
voudriez voir continuer à se produire »[3].
Explorer forces et solutions est une évidence en orientation solutions,
l’intervenant se centre sur les ressources, s’appuie sur les compétences,
recherche les exceptions.
La recherche d’exceptions, technique-type de l’approche, consiste à
chercher les moments où le problème est moins intense, voire moins fort.
Enfin, l’intervention solutions est une approche concrète, qui vise
l’atteinte d’objectifs positifs co-construits avec les clients.
Josée Lamarre
Josée Lamarre a été co-directrice de Centre de psychothérapie stratégique,
avec André Grégoire. Formatrice renommée, elle a contribué à la diffusion de l’orientation
solutions au Canada et en Europe notamment.
Elle détermine cinq attitudes fondamentales.
La première est la focalisation de l’entretien thérapeutique sur les
objectifs du client, ses ressources et compétences ainsi que ses exceptions.
La deuxième est l’utilisation de moyens privilégiés, parmi lesquels on
retrouve la question-miracle, la recherche d’exceptions, l’utilisation
d’échelles, l’utilisation du langage du client (ses formulations, ses
métaphores…), l’empowerment et l’activation de solutions (plutôt que la
suppression de problèmes).
La troisième attitude renvoie à la relation thérapeutique :
bienveillante, respectueuse, elle sera aussi non-blâmante et centrée sur la
coopération.
La quatrième attitude concerne les entrevues de suivi, qui devraient
commencer par « Qu’est-ce que vous avez fait de bon pour… »,
s’appuyer sur les échelles de progrès et contenir des compliments.
Enfin, l’intervenant, en fin de séance, veillera à suggérer une tâche, à
faire usage de compliment et à déterminer avec le client la pertinence de
planifier une autre entrevue et à quel moment.
On trouve de très nombreuses similitudes avec les sept principes de de
Shazer et Berg, notamment la question-miracle, l’échelle de progrès,
l’expression de compliments, la prescription de tâches et la recherche
d’exceptions.
Là où de Shazer et Berg insistent plus sur la fixation d’objectifs, Lamarre
met l’accent sur la coopération avec les clients.
Examinons maintenant le point de vue de l'Association Européenne de
Thérapie Brève.
L’EBTA
L’European Brief Therapy Association (EBTA) fixe six techniques minimales
pour qu’une intervention entre dans le cadre de l’approche solutions. Trois
concernent la première rencontre et trois les rencontres suivantes.
Lors de la première rencontre, l’intervenant doit faire usage de la
question-miracle, doit employer l’échelle de progrès et adresser un compliment
au client à la fin de l’entretien.
Les rencontres suivantes exploiteront les réponses du client à la question
« Qu’est-ce qui s’est amélioré ? ». Elles s’appuieront ensuite
sur l’échelle de progrès et les compliments.
Cette conception, limitée et répétitive, n’exclut pas les autres techniques
fondamentales, comme la recherche d’exceptions. Elle fixe le minimum minimorum de l’intervention solutions.
Question-miracle, échelle de progrès et compliments : voilà le trio
qui traverse les trois visions présentées.
Dans une recherche sur l’implantation de l’orientation solutions au Centre
jeunesse de la Mauricie et du Centre-du-Québec, le Comité de travail, se basant
entre autres sur les éléments précédents, a élaboré une liste de 16 techniques
qualifiant une intervention orientée solutions.
Le Centre jeunesse de la Mauricie et du Centre-du-Québec
Dans son Etude sur l’implantation de
l’intervention orientée solutions[4], le
Centre jeunesse de Mauricie et du centre-du-Québec a déterminé une série de
critères, d’indicateur orientés solutions :
-
L’identification d’un changement
prétraitement lors du premier contact, appelé aussi changement de pré-session. Il s’agit d’identifier les
changements positifs qui sont apparus dans la vie du client entre la prise de
rendez-vous téléphonique et le premier entretien. Ces changements, très fréquents, sont souvent
dus au sentiment de soulagement lié au fait d’être pris en charge.
-
La visualisation du futur, par la question-miracle ou par toute autre
variante (par exemple, la baguette magique ou les trois vœux chez les enfants).
-
L’échelle évaluative en début de processus, échelle à partir de laquelle le client
évalue l’intensité de son problème.
-
L’échelle évaluative lors des entrevues
subséquentes, les échelles de
progrès.
-
L’utilisation de la question « Qu’est-ce
qui s’est amélioré ? » lors des entrevues subséquentes à la première
entrevue.
-
La recherche d’exceptions en cours
d’intervention, recherche de
moments où le client vit différemment son problème.
-
Les questions relationnelles, qui amènent le client à se décentrer et à
adopter le point de vue de proches.
-
Les métaphores.
-
Le fait de faire quelque chose de différent
en l’absence de solutions émergées, l’introduction du changement.
-
Le petit pas, le plus petit changement possible qui ferait déjà la
différence.
-
La décristallisation, technique consistant à déconstruire la vision
du problème.
-
Le recadrage, amenant un autre regard sur les difficultés, un regard
ouvert sur les possibilités de changement.
-
L’externalisation, c’est-à-dire la scission entre le problème et la
personne. Ce n’est pas la personne qui est le problème, mais c’est le problème
qui est le problème.
-
L’utilisation de la rétroaction positive (souligner ce qui a bien fonctionné, mettre
en lumière les forces, complimenter).
-
La proposition d’une tâche en fin d’entrevue.
-
L’utilisation de compliments en fin
d’entrevue.
Cette conception est plus technique que les précédentes, mais on y retrouve
les trois mêmes piliers : Question-miracle, échelle de progrès et
compliments (empowerment).
Que retenir ?
Bien qu’une approche orientée solutions ne soit pas un protocole invariant,
appliqué de la même façon par tous les intervenants à toutes les situations, on
peut distinguer plusieurs axes spécifiques.
Le premier serait l’axe
de la temporalité.
L’orientation solutions repose sur une conception spécifique de
l’historicité d’une personne. En simplifiant, on pourrait dire que :
-
Le passé intéresse plus en termes de ressources, de solutions, de forces
qu’en termes de causalité ;
-
Le présent se focalise sur les changements positifs plutôt que sur les
symptômes ou les diagnostics ;
-
Le futur, à travers les techniques de visualisation de l’avenir, permet la
fixation d’objectifs thérapeutiques positifs, s’exprimant à travers
l’amélioration de la qualité de vie plutôt que sur la suppression de symptômes.
Le deuxième axe serait
l’axe pratique.
Il renvoie aux techniques fondamentales de l’orientation solutions :
la question-miracle, les échelles, les objectifs, les exceptions, les
compliments.
Le troisième axe serait celui de la relation thérapeutique.
Basée sur la co-construction, la collaboration active du client et le
présupposé positif sur sa capacité à surmonter ses difficultés.