mercredi 29 janvier 2020

LE FEED-BACK DE FIN D’ENTRETIEN 2/3


Dans leur livre De l’entretien à la solution, Peter de Jong et Insoo Kim Berg donnent neuf directives pour la construction des feed-back de fin de séances :
-       trouver en premier lieu la tâche ou les tâches à prescrire. En d’autres termes, partir du « bas » de la structure ;
-       si la tâche n’apparaît pas comme évidente, privilégier les tâches les plus « prudentes » ;
-       élaborer les tâches en fonction du degré de motivation et d’implication du client, des objectifs et des exceptions ;
-       connaître ce qui est important pour le client et s’assurer auprès de lui de notre perception ;
-       adresser des compliments utiles à la construction de solutions ;
-       formuler une phrase de pont de telle manière que la tâche semble en découler ;
-       employer les mots du client ;
-       formuler des propositions simples et claires ;
-       prononcer le feed-back avec conviction et sincérité, en observant  son impact sur le client.

L’expérience montre que certaines formes de feed-back peuvent être appliquées dans plusieurs situations et de nombreux auteurs, parmi lesquels je citerai de Shazer, Dola, Furman et Ahola, ont diffusé ces formules dans leurs publications.
J’insisterai personnellement sur trois situations, basées sur la classification courante en orientation solutions des types de clients : le visiteur, le plaignant et le client.
Pour simplifier, le visiteur considère qu’il n’a pas de problème et ne voit donc pas pourquoi il s’impliquerait dans une relation d’aide. Le plaignant reconnaît un problème, mais il l’attribue à des causes extérieures à lui-même, parmi lesquelles on retrouve souvent les autres.
Le client, enfin, a conscience qu’il vit une situation problématique et reconnaît une part de responsabilité dans les changements à apporter à la situation.
Bien que cette classification puisse paraître réductrice et jugeante, elle peut être commode sur certains points. Personnellement, plutôt que de parler d’un visiteur ou d’un plaignant, je préfère parler d’une relation de type visiteur, plaignant ou client, ce qui permet de prendre distance avec les étiquettes.


Feed-back dans une relation de type visiteur
Dans le cadre d’une relation de type visiteur, votre vis-à-vis n’a pas de problème, donc pas d’objectif. Il est alors compliqué de créer un pont. Pour les mêmes raisons, il est difficile de trouver des exceptions au problème pour nourrir ses compliments. Enfin, il y a peu de chances qu’il accepte une prescription de tache active.
Dès lors, quelle est notre marge de manœuvre ?
Les compliments peuvent porter sur le fait que le visiteur a une idée claire de ce qui n’est pas bon pour lui (travailler avec vous), à défaut peut-être de savoir ce qui est bon pour lui, sur ses intuitions, ou sur toute autre force que vous aurez isolée. Vous mettrez simplement de côté les exceptions.
Concernant le pont, Insoo Kim Berg emploie quand c’est possible le tiers qui envoie la personne chez le praticien.
Si on tient à prescrire une tâche, il conviendra alors de privilégier les tâches d’observation, voire de ne rien prescrire dans un premier temps. Insoo Kim Berg propose au visiteur, comme tâche, de revenir.
Examinons comment elle formule cela[1] :
« Curtis, nous sommes très impressionnés de vous voir ici aujourd’hui alors que cela ne correspond pas à votre idée ; vous aviez certainement la possibilité de choisir la solution de facilité de ne pas venir ici… Cela n’a pas été facile pour vous de venir ici aujourd’hui ; de prendre sur votre temps pour parler de choses que vous ne voulez pas vraiment aborder, de devoir prendre le bus, etc. Je me rends compte que vous êtes une personne à l’esprit indépendant qui ne veut pas qu’on lui dicte ce qu’elle doit faire, et je partage votre opinion qu’on devrait vous laisser tranquille (compliments.)
 Mais vous vous rendez compte aussi que faire ce qu’on vous demande vous aidera à vous débarrasser de ces gens et à ce qu’on vous laisse aussi tranquille plus tôt (pont.)
Par conséquent, j’aimerais vous revoir pour arriver à approfondir ce qu’il sera bon pour vous de faire. Donc, retrouvons-nous la semaine prochaine à la même heure (tâche). »
Ce type de feed-back augmente, selon ses défenseurs, la probabilité de retour du visiteur. 

Feed-back dans une relation de type plaignant
Il peut être particulièrement difficile d’élaborer un feed-back avec un plaignant qui peine à trouver un objectif de changement, puisque ce sont les autres qui doivent changer, et donc à se mettre en mouvement. De même, ils peuvent sembler résistants aux compliments. Etant donné qu’ils se sentent victimes de sources extérieures, les exceptions et les forces ne leur paraissent pas d’une grande utilité.
Dans le feed-back qui peut s’avérer utile face à un plaignant, le compliment peur porter sur sa capacité d’analyse. Le pont peut être la reconnaissance de l’intensité ou de la portée du problème. La tâche, enfin, pourrait porter sur une observation. 

Voici une illustration de ces trois étapes :
Mathilde est une femme d’une cinquantaine d’années qui divorce d’un mari qu’elle présente comme manipulateur. Malgré le fait qu’ils ne vivent plus ensemble, elle estime que sa vie est gâchée par son ex-conjoint, qui continue à lui téléphoner pour des broutilles à récupérer, comme une pare d’haltères, ou pour lui adresser des reproches et reporter sur elle la plaine responsabilité de l’échec de leur couple.
A chaque coup de téléphone, Mathilde est bouleversée. Elle est épuisée par la discussion, faite d’argumentations et de contre-argumentations stériles. En plus, des souvenirs remontent à la surface, ainsi que des ruminations anciennes et des émotions complexes.
Elle ne voit pas ce qu’elle pourrait faire pour mettre fin à son malheur. Elle estime que sa vie a été gâchée par cet homme et qu’il continue à la lui gâcher. Elle croyait en être « débarrassé », mais finalement elle constate qu’elle devra traîner le « boulet de cette relation » jusqu’à la fin de sa vie.
« Mathilde, je dois vous avouer que je suis frappé par la précision avec laquelle vous analyser le comportement de votre conjoint. Vous parvenez également à comprendre clairement l’impact d’un de ses appels sur vos émotions, vos pensées et même vos comportements. Tout cela est bien net dans votre esprit (compliments.)
Vous dites que cette relation vous a gâché la vie et je pense qu’en effet, elle vous a causé beaucoup de torts, vous éloignant de vous-même, réduisant votre énergie et votre plaisir à vivre (pont.)
C’est pourquoi d’ici la prochaine séance, j’aimerais que vous observiez et que vous notiez pour pouvoir me l’expliquer, ce qui se passe actuellement dans votre vie et que vous voulez voir se poursuivre ou s’amplifier. Que ce soit des situations, des relations, des émotions, des réalisations ou des façons de voir les choses. D’accord ? (tâche). »
La tâche d’observation peut-être plus simple a encore. On peut proposer au plaignant de noter les moments ou les idées qui lui font croire, même un court instant, que son problème peut trouver une solution. Cela se formulerait ainsi :
« C’est pourquoi d’ici la séance suivante, j’aimerais que vous notiez les instants où vous avez le sentiment que votre problème pourrait être résolu. Même si cet instant est court et vous paraît illusoire. Ok ? »

(A suivre...)

Benoît Demonty